Numergy annonce son placement sous une procédure de sauvegarde. Cette co-entreprise entre SFR-Numéricable, Bull et la Caisse des Dépôts explique cette décision par un différent stratégique entre les différents actionnaires quant à l’avenir de la société.
Récemment, Orange a racheté les parts de Thalès et de la Caisse des Dépôts dans Cloudwatt, et va continuer à proposer des services Cloudwatt au sein de son propre catalogue de services Cloud.
Au final, avec ces deux acteurs publiques, nous avons un CA combiné qui culmine entre 6 et 8M€… pour un investissement d’environ 75M€. Voila un ROI bien limité. Nous ne reviendrons pas sur la génèse de ces entreprises, il existe quantité d’articles à ce sujet là.
En revanche, attardons nous un peu plus sur les raisons de cet échec, qui témoignent bien de la rupture stratégique qu’incarne le Cloud Computing.
Une offre inadaptée à la demande
Le Cloud Computing s’inscrit au sein d’un plus grand cycle de tendances de l’informatique: la consumerization, à savoir le fait que les usages entreprises proviennent du monde personnel alors que jusqu’à présent, la transposition des usages entreprises permettait de garantir un succès commercial de masse.
En somme: historiquement, un produit entreprise était lancé sans analyse systématique de marché préalable vers le marché grand public, et avait de grandes chances de fonctionner car le produit bénéficiait de la caution “entreprise”, et générait donc l’envie du Grand Public. On peut penser à la micro-informatique qui s’est d’abord imposée dans les entreprises, puis chez les particuliers qui l’utilisaient dans leur quotidien. Le marché initial de la micro-informatique pour les particuliers était assez peu recherché; le besoin a été crée par l’utilisation professionnelle de ce genre d’outils.
Aujourd’hui, les choses sont différentes : les employés sont avant tout des consommateurs, et sont habitués à utiliser dans leur vie personnelle des outils intuitifs dont l’utilisation est commode et pratique. Or, l’entreprise propose des services qui sont perçus comme non pertinents par les utilisateurs, car non conformes aux habitudes d’utilisation des employés.
La création du besoin s’est déplacée : auparavant, l’utilisation en entreprise suscitait le besoin; maintenant, c’est l’utilisation dans la sphère privée qui suscite l’adoption dans le monde professionnel.
On le voit, lancer un investissement conséquent sur un ensemble de services nécessite une profonde connaissance des usages d’un marché. Les us et coutumes du lancement de produits se sont transformés, et il est donc nécessaire de s’approprier ces problématiques, que ce soit en faisant appel à des experts ou en impliquant les acteurs dans le processus de décision. Le danger, on le connaît et on le voit à travers le projet de cloud souverain…
« Il était essentiel de construire un écosystème collaboratif »
La fin du top-down
Dans le secteur privé, les grands groupes ne sont plus les leaders, mais les suiveurs.
Les innovations de rupture proviennent des acteurs agiles, en prise directe avec un marché qui se construit.
Les grands groupes, passés maîtres de l’industrialisation des services, disposent de capacités limitées pour générer cette innovation de rupture qui n’est pas encore industrialisable.
Le Cloud Computing a permis aux startups d’accéder à des ressources informatiques puissantes, qui leur permettent de tester leurs concepts sur des infrastructures performantes afin de valider la pertinence de leurs offres.
L’enjeu de construire l’informatique souveraine doit reposer entre les mains de grands et de petits acteurs. En effet, la puissance d’innovation des petits acteurs doit être combinée à la logique d’industrialisation et d’efficacité des grands groupes, en sollicitant des intermédiaire qui aurait pu l’interface entre des visions marché très différente. Une véritable alliance industrielle aurait pu permettre l’éclosion d’une alternative crédible aux géants actuels.
En effet, dans l’industrie du Cloud Computing, les leaders du marché ont dimensionné leurs investissements à hauteur du milliard d’euros par…trimestre (Amazon et Google notamment). En comparaison, un investissement de 150M d’euros, bien que notable, reste très modeste par rapport aux objectifs qui ont été fixés à l’origine du projet. A ce titre, la création d’un écosystème fédérateur, qui rassemble l’ensemble des acteurs du marché, était d’autant plus obligatoire qu’il engageait l’ensemble des forces vives de la conception et de la fourniture de services Cloud; cela aurait pu permettre la construction d’une alternative différente, mais qui répondait aux attentes d’un marché en construction.
« Une opportunité exceptionnelle de susciter l’engouement autour d’un projet européen »
Le choix de désigner 2 chefs de file pour “construire” un marché (qui existait déjà, et qui était déjà adressé par un nombre certain d’acteurs, des grands industriels aux acteurs innovants), alors qu’il était essentiel de construire un écosystème collaboratif, montre la faillite d’une approche qui n’est pas adaptée à un monde numérique en pleine transformation, et qui doit surtout s’ouvrir à une multitude d’acteurs qui présentent une typologie bien différente.« Une opportunité exceptionnelle de susciter l’engouement autour d’un projet européen »
Il s’agissait aussi d’une opportunité exceptionnelle de susciter l’engouement autour d’un projet européen, avec des acteurs qui ont chacun leur spécificité.
Ce qui entraine d’ailleurs…
De concurrents à partenaires
Dans le monde de l’entreprise, on dépasse souvent les concurrences pour se placer en partenaires (le monde de l’aviation, et particulièrement les fabricants de moteur, en sont un exemple marquant). Il en est de même dans le secteur de l’IT: les acteurs ont pris conscience de la nécessité du “construire ensemble”, en ouvrant progressivement les applications et les usages à l’extérieur.
De plus en plus, les acteurs globaux comptent sur des partenariats locaux pour atteindre leurs clients.
Le cloud computing permet justement d’adresser une population toujours plus connectée et interconnectée en leur offrant des possibilités de personnaliser leur expérience par l’intermédiaire d’un écosystème de partenaires.
Généraliser cette approche au niveau européen pour construire une alternative aux géants américains aurait pu permettre de:
- Avoir une approche “glocal” (visée globale, avec stratégie locale)
- S’adapter aux spécificités de chaque pays
- Construire une réponse technologique crédible basée sur la fédération des acteurs
A l’heure actuelle, l’écosystème cloud peine à se clarifier, grâce à des discours et des promesses qui induisent les clients à se poser les mauvaises questions.
Construire un discours clair, cohérent et surtout fédérateur était la meilleure façon de pérenniser les investissements et de favoriser l’adoption par les entreprises.
« La migration de l’écosystème IT actuel vers ce nouveau mode d’organisation ne s’improvise pas »
La décision de lancer ces acteurs était basée sur des mécanismes “non Cloud”. Cela nous permet donc de bien comprendre que la migration de l’écosystème IT actuel vers ce nouveau mode d’organisation ne s’improvise pas : il existe de réelles opportunités pour se développer et s’épanouir, à condition d’aborder le changement d’une façon constructive, qui permet le renouvellement et l’éclosion de nouvelles façons de faire.