Le choix du matériel – Sobriété heureuse
Cher journal,
Tu entends régulièrement parler de la matérialité du numérique. Que ça soit par la Fresque du numérique ou divers articles ici ou là.
Réconcilier minimalisme et matérialisme pour tendre vers la sobriété
Sans te refaire cette histoire que tu connais, le principe de la matérialité du Numérique est qu’il se cache de nombreuses ressources matérielles (périphériques utilisateurs, infrastructures réseaux, datacentres) derrière nos usages digitaux. Ce sont ces équipements qui ont le plus d’impact écologique et social, notamment à leur fabrication (60% à 90% de l’impact).
Face à ce constat, et sans originalité, la réponse réside essentiellement dans la sobriété. La sobriété de nos usages, certes, mais d’abord et avant tout dans la consommation de nos périphériques utilisateurs (ordinateurs, smartphones et autres objets électroniques).
Lorsqu’on pense sobriété matérielle, qu’elle soit numérique ou non, il est aisé d’opposer minimalisme (dont l’un des objectifs est de limiter le nombre d’objets qu’on possède) au matérialisme (qui confère une grande importance aux biens matériels). Pour autant, je propose aujourd’hui d’essayer de réconcilier les deux.
En substance, le minimalisme est une approche qui vise à supprimer toutes les choses qui nous distraient de ce qui est important dans nos vies. C’est bien l’aspect que retient Fumio Sasaki dans son ouvrage « l’Essentiel et rien d’autre ». Pour lui, chaque bien matériel que l’on possède doit avoir une histoire que l’on peut raconter avec passion et fierté. Chaque objet que nous possédons doit prendre vie au regard de la démarche d’acquisition qu’on a eu et de la relation qu’on a avec lui au quotidien. Comme les amitiés sont rares, les objets ainsi acquis, aussi chers à nos cœurs soient-ils, restent rares. De cette manière, le “matérialisme” est un des leviers qui permet de tendre vers le minimalisme.
C’est cette approche que j’ai retenue dans le choix de mes équipements.
Maintenant, laisse-moi te parler de mon ordinateur : C’est le Thinkpad X270 de Lenovo, un modèle de 2017. Et son choix s’est imposé à moi.
Pourquoi choisir un ordinateur de 2017, en 2020 ? Accroche-toi, c’est le moment geek.
Premièrement j’avais des impératifs matériels liés à mon usage :
- Un écran HD (1080p) ;
- Un SDD NVME ;
- Assez de batterie pour tenir la journée ;
- Une taille raisonnable <13,3 pouces ;
- 16go de RAM (oui, c’est beaucoup, en réalité, j’en utilise 8 à 10Go) ;
- Une connectique qui en porte le nom (RJ45, HDMI, USB, et chargement en USB C, pour conserver un chargeur unique).
Rien de bien complexe, tu me diras. C’est vrai. Mais il faut y ajouter les critères « Nuageo » :
- Réparabilité : être en capacité de changer le SSD, la RAM, et la batterie ;
- Reconditionné : Achat chez un reconditionneur Français.
Il faut également rajouter mon niveau d’exigence personnel :
- Être en capacité de changer/réparer en autonomie un grand nombre de parties de l’ordinateur, si ce n’est la totalité de l’ordinateur (clavier, écran, carte WIFI/Bluetooth, trackpad, webcam etc.)
- Viser l’inter compatibilité et l’interopérabilité des éléments qui composent l’ordinateur en évitant les périphériques non standards car difficiles à maintenir et à réparer (je pense par exemple à la “touchbar” des macbook il y a quelques années).
- Pouvoir le trouver d’occasion, sans étape de reconditionnement ;
- Éviter les fonctions qui demandent une surconsommation de ressources par rapport à mon usage (écran 4K, webcam FullHD, écran tactile etc.).
Encore une fois, tu vas me dire « facile ». Détrompe-toi, cher journal. Je te mets au défi de trouver un ordinateur qui reprend ces caractéristiques.
Lors de ma recherche initiale en 2020, il n’y en avait que deux : le Thinkpad X270 (sur les générations précédentes, il n’y a pas de port USB C, sur les suivantes la RAM est soudée), et l’équivalent Latitude de chez Dell.
Ah et avant que tu me parles du Framework, à l’époque il était encore compliqué de le trouver en Europe, et comme je te disais, je souhaite avoir mon ordinateur d’occasion et non reconditionné.
Pourquoi ?
Je le voulais d’occasion d’abord pour l’économie de ressources (70 à 90%) lors d’un achat d’occasion, encore plus non reconditionné. En effet, un achat d’occasion de pair à pair permet d’éviter les étapes de transport, de réparation, de nettoyage, de conditionnement, et de livraison suite à la vente.
Également parce que je voulais un ordinateur qui me coûterait moins de 300 € TTC, pour ne pas craindre en permanence la panne, la perte, le vol et l’investissement potentiel associé. Enfin, je souhaitais un PC qui avait déjà vécu quelques années (2 à 3 ans), pour qu’il soit éprouvé tant dans le design du modèle (plus de bug de firmware de jeunesse), que dans l’unité que je possède (les gros problèmes apparaissent dans les 2 à 3 premières années de la vie d’un ordinateur).
Finalement, c’est la résilience qui a guidé ma réflexion : je souhaitais un compagnon de travail robuste, qui, une fois le long temps de réflexion passé, ne me demanderait plus ou peu d’effort. Un design simple qui simplifie sa maintenance, des pièces standards pour maximiser les chances d’en trouver neuves ou d’occasion, des performances suffisantes pour mon usage quotidien.
Et avec cette vision, je n’avais à l’époque que deux choix dans la taille que je souhaitais (<= 13,3 pouces).Je ne sais pas si ça te surprend, mais moi je ne me suis toujours pas remis de ce manque de choix. Même deux ans après, en 2022, à part le framework qui est un sujet à part et beaucoup plus cher, il n’y a guère plus de choix.
Maintenant, pourquoi Lenovo Thinkpad, plutôt que Dell ?
Pour la batterie externe amovible, à 6 cellules, qui confèrent une autonomie de 10 à 12 heures réelles ? Pour le noir mat du Thinkpad, et la petite led rouge qui indique la veille a ce côté vintage qui donne à cette gamme de Lenovo un charme particulier ?
C’est vrai, ça aurait pu suffire, mais la réalité est tout autre.
Le choix s’est fait d’abord, et avant pour la communauté. Ci et là sur internet, il existe des groupes d’utilisateurs de Thinkpad qui partagent leurs aventures avec leurs machines, parfois vieilles de 10 ans et plus. Astuces, entraide, modifications, hack, ou simple partage de moment de vie, le Thinkpad est considéré par beaucoup (et par moi maintenant), comme une référence. Des machines conçues pour accompagner ses utilisateurs dans la réalité du quotidien : parfois moins élégants que ses concurrents, il se veut à toute épreuve.
C’est bien cette communauté qui m’a convaincue de rejoindre le mouvement. Ça, et la petite led rouge (ne me parlez pas du Trackpoint).
Maintenant que le matériel est identifié, quel système d’exploitation choisir ?
Choisir une distribution Linux : pour défendre une vision de l’informatique, pour être plus résilient…Et pour un surplus de confort.
Le choix du système d’exploitation aurait pu se faire par défaut mais en s’engageant dans une démarche de résilience, de maîtrise et de limitation d’impact, on ne peut passer à côté de la question de l’adéquation matérielle/logiciel.
D’abord car un logiciel adapté, optimisé, permet d’avoir un matériel qui dure plus longtemps et surtout, qui permet de supporter des usages identiques, avec une puissance moindre. De manière générale, les distributions Linux, sur des usages bureautiques et web, sont plus véloces et moins consommatrices de ressources que Windows.
Ensuite, une distribution Linux FOSS ou FLOSS (free/libre/open source software) permet de se concentrer sur l’essentiel : pas de tracking, pas de logiciels imposés à l’installation, pas de « killer feature » type reconnaissance vocale. C’est calme et reposant.
Aussi, comme l’interopérabilité matérielle, une approche FOSS, en se basant sur des standards ouverts et partagés, assure aux utilisateurs la possibilité de ne pas être lié à un logiciel, une plateforme ou un constructeur.
Enfin, parce que le « libre » et l’open source représentent selon moi ce que devrait être l’informatique : un outil, accessible à tous, qui libère et rapproche les humains.
La mise à disposition des ressources au plus grand nombre permet l’émergence d’innovations ou de projets citoyens : elle diffère de l’innovation privée, qui dans ce domaine, cherche bien souvent le profit uniquement. Au contraire, ces projets “open sources” élaborés par des citoyens, portent avant tout des préoccupations citoyennes (l’usage essentiel, le lien social, l’écologie etc.). Ces innovations sont portées par l’unique efficacité “économique” du libre : car ce qui a été produit une fois, peut être diffusé à tous.
Elles créent un commun Numérique, qui à pour but de rendre accessibles ces services essentiels aux plus grand nombre et qui à comme avantage intimement lié au numérique, qu’il est non-exclusif (il peut être utilisé sans empêcher d’autres de l’utiliser en même temps), et non-rival (on peut le consommer, sans limiter la consommations d’autres personnes).
Assez naturellement, je me suis tourné vers Ubuntu, une distribution basée sur Debian, qui selon moi est un excellent compromis entre la simplicité d’usage et l’optimisation.
Immédiatement supportée par mon Thinkpad, l’installation fut facile et je me suis vite rendu compte de la différence : à usage égal, 30% de RAM en moins consommée. Après quelques réglages, j’ai obtenu une autonomie supérieure et une sensation de légèreté assez flagrante.
Bien-ŝur c’est avant tout du ressenti, mais peut être que la légèreté est accentuée par la sensation de liberté que provoque l’utilisation d’une distribution Linux : pas de licence à entrer (d’une manière ou d’une autre), pas d’office « en version d’essai », pas d’invitation à utiliser OneDrive ou à passer sur Edge par défaut.
Pour être honnête, cela vient avec son lot de compromis, depuis quelques mois Firefox ne s’ouvre pas d’un claquement de doigts ou le partage d’écran demande un peu d’adaptation sur Teams. Au final, rien de bloquant dans un usage professionnel quotidien. D’autant plus qu’en cas de pépin, les solutions diffusées sous licences libres ont un atout incroyable : sa communauté. On ne compte plus le nombre de posts sur les forums aidant les débutants ou débloquant les utilisateurs avancés.
L’entraide et la transmission sont omniprésentes et bénévoles, pour défendre cette vision de l’informatique comme un outil pour tous, par tous.
Lorsqu’on y a goûté, la liberté n’est plus une option.
Conclusion : mon ordinateur est un outil de travail, une plateforme militante et surtout, il a une jolie LED rouge sur le capot.
Si la résilience et un impact limité ont guidé ma réflexion et mon choix, c’est au final la sobriété qui a été la solution. Cette sobriété, sans compromis d’usage essentiel, s’est imposée comme une évidence. Elle permet aux bruits parasites de s’effacer de l’expérience informatique pour se concentrer sur la seule valeur d’usage.
Au-delà du matériel, la sobriété ouvre aussi plus facilement la voie à l’utilisation d’outils et open source.
Ensemble, ils soutiennent une vision de l’informatique qui se veut communautaire, centrée sur des usages essentiels, ouverts et accessibles à toutes et à tous, construits par des citoyens, pour des citoyens.
Quelques précisions à cette présentation
- Lorsque j’ai commencé à utiliser mon ordinateur de manière 100% professionnelle, j’ai changé la RAM utilisée et le disque dur ;
- Le Thinkpad X270 a quand même quelques faiblesses, j’en vois deux principales :
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- La première : le câble reliant l’écran et la webcam (oui les deux, il gère même aussi la fameuse led rouge) à la carte mère est fragile. Il est sollicité à chaque ouverture de l’ordinateur. De plus, en le remontant, il est courant que le câble se positionne mal et se sectionne rapidement à l’usage. Deux conseils alors : prévoir un câble de rechange, et être attentif et méticuleux lors du montage.
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- La seconde : les batteries. Si le X270 est capable d’atteindre 14H d’autonomie grâce à ces deux batteries, il est important qu’elles soient manufacturées par Lenovo. Les batteries génériques ont tendance à mal fonctionner et demandent quelques manipulations au niveau du comportement du processeur pour éviter le throttling. Trouver des batteries qui ne sont plus produites en 2022, pour autant en bon état, devient un sport sur “le bon coin”.
- Le passage de Windows à Ubuntu demande un temps d’adaptation. Comme tout changement. Il faut réapprendre à vivre avec l’essentiel. L’eau est plus pure, mais il faut la chercher au puits. Les légumes sont plus riches en goût, mais il faut les cultiver. Le système est plus véloce et stable…mais il arrive qu’une mise à jour pose problème et demande d’ouvrir le terminal :).
Clément