Eléments de réflexion sur la consommation électrique du numérique

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Quel regard porter sur la consommation électrique du numérique ?

Généralement, le premier élément d’analyse qui vient à l’esprit est la dimension financière.

Raisonnons à l’échelle individuelle.

A titre individuel, la consommation électrique d’un équipement numérique est assez faible.

Considérons une batterie de smartphone d’une capacité de 2000 mAh. Alimentée par un chargeur générant une tension de 5 V, la recharge de la batterie représente une consommation de 10 Wh (2000*5 / 1000) (soit une conso annuelle de 3.65 kWh par appareil).

Avec un tarif de Base de 0.2016 € TTC / kWh, une recharge quotidienne d’un smartphone représente une consommation annuelle de de 3650 Wh, soit un coût de 0.74 € / an.

Dans son étude parue en 2024, l’ARCEP évalue le nombre d’objets connectés en France à 700 millions, ce qui représente environ 10 équipements par personne (sur une base de 70 millions d’habitants). Cette approximation nous place dans la moyenne européenne en termes de nombre d’équipements numériques.

10 équipements par personne nous amènent donc à un coût de revient de 7.4 € / an et par personne (la consommation électrique n’est pas la même pour tous les équipements, mais il est question ici d’ordre de grandeur).

A titre de comparaison, le coût annuel de fonctionnement d’un réfrigérateur combiné est de 60 €, 28 € pour un lave-vaisselle, 23 € pour un four électrique. 

Objectivement, l’impact financier des usages numériques est donc relativement faible à titre individuel.

Mais naturellement, à l’échelle d’un pays, d’autres enjeux apparaissent. 

Car au-delà du coût de revient de la consommation d’électricité (supporté par les citoyens, les entreprises ou les collectivités) se pose la question de la production et du transport de la dite électricité (car avant de la consommer, il faut bien la produire et la transporter jusqu’au consommateur final !)

Production et transport d’électricité, une histoire d’infrastructures

Reprenons l’estimation de 700 millions d’équipements connectés en France.

D’après la dernière étude de l’ADEME, 11% de la consommation électrique française est liée au numérique, soit 51,5 TWh ; les terminaux en représentent 64%, soit 33 TWh.

En raisonnant uniquement sur les smartphones et en prenant en considération l’hypothèse d’un parc de 70 millions de smartphones en France (soit 10% des appareils connectés, environ 1 par personne), cela représente, sur la base d’une consommation annuelle de 3,65 kWh par appareil, une consommation annuelle totale de 255,5 GWh.

NB : ce total ne représente paradoxalement que 1% de la consommation électrique des terminaux, mais nombre d’équipements sont beaucoup plus consommateurs que les smartphones (une batterie de smartphone a une puissance de 10 W, alors que celle d’un laptop est proche de 80 W et qu’un desktop peut nécessiter entre 500 et 1000 W !) 

Pour conclure sur ce point, les 33 TWh consommés annuellement par les terminaux ne représentent donc guère que 6,5% des 500 TWh d’électricité produits en France annuellement, soit pas grand chose.

Mais le numérique ne se limite pas aux terminaux utilisateurs.

Faisons ici abstraction de la consommation électrique des réseaux fixes et mobiles, qui n’est pas négligeable mais qui constitue le segment le moins consommateur des équipements numériques.

Comme expliqué par l’ADEME, le second poste de consommation d’électricité est constitué par les data centers, dont l’activité est directement liée à nos usages numériques quotidiens. 

En effet, environ 60% des flux Internet mondiaux concernent le streaming, ou diffusion en direct de vidéo (reposant sur des services tels que Youtube, Netflix, TikTok et autres réseaux sociaux, sites porno, appels vidéo…).

Les plateformes de streaming nécessitent en effet de très grandes quantités de données qui doivent être stockées, traitées et transmises en continu, ce qui sollicite lourdement les ressources des data centers. Les jeux en ligne et les services de cryptomonnaie ou de blockchain sont également des consommateurs significatifs de data et donc d’énergie.

A titre d’illustration, fin 2024, Digital Realty, entreprise américaine de gestion de data centers, a annoncé avoir constaté une augmentation annuelle de +40% du volume mondial de données en circulation.

Au niveau mondial, d’après l’IEA, la consommation électrique des data centers devrait passer d’environ 400 TWh en 2024 à plus de 900 TWh en 2030 (soit plus qu’un doublement en seulement 6 ans !).

La consommation, importante actuellement, va donc continuer à augmenter, en étant principalement portée par le développement des usages impliquant l’IA générative.

Et en France ?

En 2024, on dénombrait en France environ 320 data centers. En 2025, les demandes de raccordement de nouveaux data centers continuent, essentiellement sur 3 territoires : Ile de France, Hauts de France et Marseille.

Mais qui dit nouveaux data centers dit consommation électrique en augmentation. Ce qui implique que la production doit également augmenter.

EDF pour la production

Côté production, EDF se veut rassurant. Dans une interview donnée en avril 2025, le directeur en charge de l’installation de grands sites de consommation chez EDF indique que la production actuellement excédentaire d’électricité en France permettra d’accompagner les développements des usages numériques, principalement portés par l’IA. 

Toutefois, différents éléments pourraient amener à tempérer cet enthousiasme

  • Comme souligné par le Shift Project, la montée en puissance de l’IA fait craindre des conflits d’usage entre les différents secteurs d’activités, à l’heure de l’électrification massive des transports ou encore de l’industrie
  • Les centrales nucléaires ont une durée d’exploitation proche de 50 ans. Le parc français ayant été principalement mis en service sur la période 1975-1990, la plupart des centrales pourraient arriver en fin de vie pendant la période 2030-2040 (on parle d’effet falaise). Pour y faire face, 2 solutions : augmenter la durée de vie des centrales (ce que l’Etat a commencé à planifier) et préparer le renouvellement des modes de production (par exemple avec l’EPR ou les projets de SMR)
  • Toutefois, très récemment, la Cour des Comptes a questionné la capacité d’EDF à faire face aux incertitudes techniques, organisationnelles et financières accompagnant les projets de nouveaux réacteurs nucléaires dans le pays

Ceci étant dit, produire (ou importer) de l’électricité, c’est une chose, être capable de la transporter sur de longues distances pour alimenter les infrastructures consommatrices (en l’occurrence les data centers) en est une autre.

RTE pour le transport

On peut alors se poser la question de savoir si le réseau électrique en France sera en mesure d’évoluer pour répondre à l’augmentation de la demande énergétique

  • Sous réserve que le développement des data centers se fasse avec un minimum de planification, RTE indique que le réseau électrique français pourra supporter les demandes de raccordement au réseau pour les 10 à 15 prochaines années, d’autant que la montée en charge des data centers est progressive et qu’ils ne fonctionnent jamais à 100% dès leur mise en service
  • Toutefois, même si RTE se montre rassurant pour la gestion à long terme de la réponse à la demande énergétique, des alertes ont toutefois déjà été émises sur la nécessité de prioriser les travaux de raccordement voire d’encadrer les puissances mises à disposition des opérateurs

La conclusion de ces quelques mots est qu’une lecture uniquement financière conduit à une analyse très partielle de la situation.

Et pour la suite ?

La nécessité, en tant que citoyen, d’avoir des usages raisonnés (pour ne pas dire “responsables”) du numérique (qu’il s’agisse de streaming, de jeux en ligne ou d’utilisation de plateformes d’IA génératives) n’est pas une question de gain économique individuel, mais plutôt de dimensionnements des infrastructures qui supportent nos usages (dimensionnements qui sont portés par des choix politiques).

Plus nous consommons de numérique, plus il faudra construire de data centers et plus il faudra produire d’électricité pour les alimenter.

A l’heure de la transition écologique, la consommation électrique de tous les secteurs industriels est croissante et des tensions, ou a minima des interrogations, apparaissent concernant la capacité à faire évoluer le réseau électrique pour répondre à toutes les demandes de raccordement des data centers. 

Dans ce contexte, il serait pertinent de s’interroger sur la pertinence de nos usages numériques pour que les infrastructures mises en oeuvre ne se transforment pas en “gouffre énergétique”, au risque d’entraver la transition écologique en pénalisant les autres industries ou secteurs d’activités qui assurent des missions essentielles de notre société (transport, alimentation, logement…) et qui ont également besoin d’électricité pour se décarboner.

Quelques références : 

https://www.iea.org/reports/energy-and-ai/energy-demand-from-ai

https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/04/10/dopee-par-l-ia-la-demande-d-electricite-pour-les-centres-de-donnees-devrait-plus-que-doubler-d-ici-2030-selon-l-aie_6593594_3234.html

https://cloudscene.com/region/datacenters-in-europe

https://infos.ademe.fr/magazine-janvier-2025/data-centers-la-face-pas-si-cachee-du-numerique/

https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/data-center-poussee-de-fievre-sur-les-demandes-de-raccordement-au-reseau-electrique-2096878

https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/data-centers-la-france-a-la-chance-de-disposer-dune-electricite-abondante-et-decarbonee/

https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/24/la-cour-des-comptes-alerte-sur-la-sante-financiere-d-edf_6642731_3234.html

https://www.franceinfo.fr/environnement/energie/nucleaire/nucleaire-l-autorite-de-surete-donne-son-feu-vert-au-prolongement-de-10-ans-pour-20-reacteurs-en-france_7353006.html#:~:text=L’Autorit%C3%A9%20de%20s%C3%BBret%C3%A9%20nucl%C3%A9aire%20et%20de%20radioprotection%20a%20donn%C3%A9,elle%20annonc%C3%A9%20jeudi%203%20juillet.

https://www.novethic.fr/environnement/transition-energetique/nucleaire-edf-engage-faveur-developpement-centres-donnees-france

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