Cette question est centrale pour nous, chez Nuageo car depuis 2019, cette formulation est une part de notre identité. Nous sommes “Nuageo, l’atelier du numérique responsable”.
Toutefois, nous observons tous que dans le fond et dans la forme, cette expression est de plus en plus remise en question.
Dans la forme d’abord. Comme très bien expliqué par Louis Derrac dans son article sur la “critique d’un oxymore”, la formulation “numérique responsable” s’inscrit dans la lignée des expressions véhiculant des imaginaires trompeurs, au même titre que Développement durable, Croissance verte ou Energie propre
Bien que séduisantes, ces expressions associent des idées antinomiques : le développement des pays, des sociétés, au sens où il est communément entendu aujourd’hui, c’est-à-dire dans un sens essentiellement économique, ne peut pas être durable, compte tenu des très nombreux impacts négatifs générés par les activités de production industrielle, à commencer par la génération de déchets.
Pour des raisons similaires, la croissance (économique) ne peut pas être verte (l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini a largement été documentée au cours des dernières décennies), de même qu’aucune énergie actuellement utilisée n’est propre (au sens sans impact sur l’environnement).
Dans le fond ensuite, la formulation “numérique responsable” attribue à cette technologie des vertus discutables.
D’après le dictionnaire Larousse, le qualificatif “responsable” a notamment 2 sens notables
- Qui est réfléchi, sérieux, qui prend en considération les conséquences de ses actes :
- ex : Ce n’est pas une attitude responsable
- Qui s’emploie à respecter les valeurs du développement durable :
- ex : Tourisme responsable
Dans le premier, il serait absurde de considérer que les technologies numériques prennent en considération, de quelque manière que ce soit, les impacts sociaux et environnementaux liés à leurs utilisations.
De la même manière qu’un marteau ne se demande pas si son manche en bois provient de forêts gérées durablement, un ordinateur ou un service IT ne s’interroge pas davantage sur l’origine des métaux ou de l’électricité nécessaire à son existence.
Le deuxième sens est tout aussi discutable dans la mesure où il reboucle sur la première partie de ce billet. L’association arbitraire de 2 mots n’est pas suffisante pour construire une locution chargée de sens et cohérente.
Dans ces conditions, s’il apparaît que l’expression “numérique responsable” n’est pas pertinente, comment résumer les idées qui sont malgré tout portées par cette formulation maladroite ?
Comme il est parfois difficile de trouver un seul mot pour résumer plusieurs idées, nous avons fait le choix d’en retenir trois.
Le numérique que nous cherchons à promouvoir se veut soutenable, éthique et robuste.
- Soutenable dans la mesure où nos usages devraient être cohérents avec (ou contraints par) les impacts environnementaux qu’ils génèrent. On retrouve l’idée de responsabilité, mais ici portée par les utilisateurs, et non par la technologie elle-même.
- A titre d’exemple, la prise de conscience des extractions de minerais ou des émissions de CO2 nécessaires la fabrication et à l’utilisation des équipements et services numériques devraient nous conduire à limiter nos achats pour diminuer les besoins de production et à raisonner nos usages pour réduire le déploiement et l’exploitation d’infrastructures (réseau ou data centers)
- Ethique en regard aux nombreux impacts sociaux, qu’ils concernent les producteurs ou les consommateurs. L’objectif n’est pas de faire disparaître le numérique de nos vies mais plutôt de voir comment il pourrait être utilisé sans que des milliers d’êtres humains subissent des dommages trop souvent minimisés, voire ignorés, au motif d’un gain de confort, rapidité, facilité dans nos vies quotidiennes
- Quelques exemples
Produits (équipements) | Services | |
Producteurs | Pollution à proximité des minesConditions de travail dans les usines d’assemblage d’équipementsPollution dans les décharges d’équipements IT | Travailleurs du clicModération de contenus du web par des humainsEntraînement des IA par les humains : amélioration des performances ou implémentation de filtres de contenus |
Consommateurs | Exposition des organismes aux radiations émises par les appareils (ex : smartphones) | Manipulation des utilisateurs par l’exploitation de données personnelles collectées ou la conception d’IHM (dark pattern) Troubles mentaux, sociaux liés à l’utilisation excessive de réseaux sociaux |
- Robuste car le dépassement de plusieurs limites planétaires conduit progressivement à un bouleversement des activités humaines. D’un environnement globalement stable qui a caractérisé le XXe siècle, nous entrons dans un monde souvent décrit par l’acronyme “VUCA” : Volatility, Uncertainty, Complexity & Ambiguity.
- La robustesse est une démarche de transformation des activités qui doit permettre aux organisations et aux entreprises de résister aux fluctuations climatiques, sociales ou climatiques auxquelles nous sommes de plus en plus confrontés
La recherche de concision conduit souvent à une perte de précision. La réflexion qui nous a conduits à identifier ces trois qualificatifs en est une belle illustration.
Aux amateurs d’innovation linguistique, nous pourrions proposer de devenir “L’atelier du numérique SouERo”.
Toutefois, en attendant que cet acronyme exotique fasse son entrée dans les dictionnaires, nous allons rester tels que nous sommes. Ce qui ne nous a pas empêchés de mettre à jour notre site web en clarifiant nos intentions : “Conseil pour une transformation numérique plus soutenable, éthique et robuste”.
D’après le Cardinal de Retz, “on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment”. Notre expérience tendrait à nous faire dire au contraire que “sortir de l’ambiguïté permet de gagner en cohérence”. Rendez-vous dans quelques années pour savoir si notre réflexion nous a aidés à gagner en lisibilité et en pertinence !