Le pire ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance, mais l’illusion …

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« Le pire ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance, mais l’illusion de la connaissance »
Daniel Boorstin

Comment apprend-on ? Qu’est ce que la connaissance ? De ces savoirs qu’en faire ou de quelle manière ? Et in fine s’interroger sur le pourquoi du comment de transmettre.

La compétence réflexive : un modèle d’apprentissage

Le développement de compétences nécessite de reconnaître la pertinence de sa propre incompétence dans un domaine donné. Pour ce faire, il s’agit de savoir analyser sa propre pratique, de remettre en question sa manière d’agir dans une recherche du chemin le plus approprié pour acquérir de nouvelles connaissances.

En 2007, William Taylor (National College of Natural Medicine, Oregon) a proposé un modèle de compétence réflexive, décrivant l’apprentissage en 5 étapes : 

  1. l’incompétence inconsciente (le novice) : ne pas savoir ce que l’on ne connaît pas
  2. l’incompétence consciente (l’apprenti) : savoir ce que l’on ne connaît pas
  3. la compétence consciente (le compagnon) : savoir ce que l’on connaît
  4. la compétence inconsciente (l’expert) : la connaissance est intuitive
  5. la compétence réflexive (le maître) : la capacité à transmettre sa connaissance

Le passage de l’étape 1 à 2 nécessite de découvrir son incompétence. Faire des erreurs, être accompagné et mentoré participe du processus d’apprentissage permettant le passage de l’étape 2 à 3. À l’étape 3, la mise en œuvre des savoirs nécessite de la concentration et de l’attention. À force de pratique et d’expérience le savoir devient une deuxième nature, c’est l’étape 4. Il s’agit ensuite de développer sa  capacité de transmettre, c’est l’étape 5. La progression d’une étape à l’autre s’accompagne souvent d’un “déclic », comme un sentiment d’éveil.

Les chemins de la connaissance : métis, phronesis, techné et epistémè

Dans la Grèce antique la connaissance était organisée autour de 4 principes :

  1. Métis : la connaissance pratique – anticipe, modifie et influence les évènements dans des réalités fugaces et mouvantes, déconcertantes et ambiguës. C’est cela qu’Ulysse a utilisé durant son périple
  2. Phronesis : la sagesse sociale – tirée de la pratique sociale, elle permet de rejeter ce qui n’est pas reconnaissable par la communauté et d’organiser les trouvailles pour en faire des règles. C’est ce que l’on utilise par exemple au sein d’une équipe projet .
  3. Techné : le savoir-faire – permet l’accomplissement d’une tâche, elle est à la jonction des courants d’idées et des réalisations concrètes. C’est ce que met en œuvre un artisan qui fabrique un meuble.
  4. Épistémè : la connaissance théorique – les généralisations abstraites, base et essence des sciences, elle est référence, famille de pensée et moyen de classification des théories et des idées. C’est par exemple la théorie de la relativité d’Einstein.

En 1994, Philippe Baumard (Université de Paris-Dauphine), propose une mise en regard (1) de ces principes de la Grèce antique avec le modèle de construction de la connaissance (2) de Ikujiro Nonaka (Université Hitotsubashi).

Les généralisations abstraites (épistémè) ne permettent pas de gérer une situation changeante et imprévisible; le savoir-faire (techné) n’a pas de prise sur une réalité chaotique et fluide; la sagesse pratique (phronesis) n’apporte pas de solution à une situation mouvante et incertaine; le métis, cette connaissance de raccourcis, de vision sagace, d’intervention perspicace, permet elle de s’adapter en fonction du contexte.

(1) – l’information oblique : le travail clandestin des organisations

(2) – modèle SECI (Socialisation, Externalisation, Combinaison, Internalisation)

Le renard connaît beaucoup de choses, mais le hérisson connaît une grande chose

En 1953, le philosophe anglais Isaiah Berlin, publie un article nommé “Le Hérisson et le Renard”. Cet essai reprenant la fable du poète grecque Archilochus (680-640 avant J-C), propose une classification des auteurs et des penseurs en deux catégories : 

  • le hérisson relie tout à une vision centrale unique, un système, plus ou moins cohérent, en fonction duquel il comprend et pense le monde. Il voit ainsi le monde sur la base d’un principe d’explication unique et universel ;
  • le renard accomplit des actes et entretient des idées qui sont centrifuges plutôt que centripètes. Il a une pensée dispersée qui s’appuie sur une grande variété d’expériences, sans chercher à les intégrer ou à les exclure d’un seul et même système immuable et englobant.

Ainsi pour Isaiah Berlin; Platon, Dante, Pascal, Dostoïevski, Napoléon, Nietzsche ou Churchill sont des hérissons, tandis qu’Aristote, Shakespeare, Montaigne, Molière, Goethe ou Balzac sont des renards.

Reprenant ce concept, en 2005, Philippe Tetlock, (chercheur en psychologie à l’université de Pennsylvanie), publie “Expert Political Judgment: How Good Is It? How Can We Know?”. Ce livre est le résultat d’un projet de recherche, de 18 ans, analysant 28 000 prédictions réalisées par 284 experts.

Dans cette interprétation, les hérissons ont une grande théorie qu’ils étendent à de nombreux domaines, avec une grande confiance. Les renards ajustent leurs idées en fonction des situations réelles. Les renards sélectionnent des fragments d’idées parmi toute la gamme des hérissons. 

Le résultat de cette recherche met en évidence que les renards sont beaucoup plus pertinents dans leurs prédictions que les hérissons. 

Le concept du regard du hérisson et du renard, propose deux approches de la connaissance, liées l’une à l’autre :

  • le spécialiste qui sait tout sur rien  : 
    • creuse de plus en plus profond ;
    • apprend de plus en plus sur de moins en moins de choses ;
    • résout un problème, conçoit une solution.
  • le généraliste qui ne sait rien sur tout :
    • regarde de plus en plus large ;
    • apprend de moins en moins sur de plus en plus de choses ;
    • décrit le problème, défini un objectif ;
    • fait des connexions entre les spécialistes.

Donner du sens à la complexité

Étymologiquement le mot « texte », vient du verbe latin « texere » qui signifie « tisser » et « textum » qui signifie « tissu », « étoffe » ou « trame ». Le mot « fiction » signifie littéralement « la science du tissu ».  Ainsi transmettre est comme proposer une trame à partir de morceaux de savoir, tisser les fils qui donnent du sens, pour permettre la compréhension qui oriente, puis l’acquisition qui construit la compétence et enfin l’accès à la maîtrise de connaissances. La socialisation est ce qui donne du sens à l’information. Donner du sens c’est raconter, débattre, dialoguer, décrire, clarifier, proposer des métaphores, des analogies ou des exemples. Notre capacité à travailler avec l’information (abstraction, représentation, …) est ce qui définit notre humanité.

La transmission comme devenir passeur de connaissance

L’apprentissage est un ensemble d’étapes, qui en succession de l’une à l’autre permet d’accéder à la connaissance. C’est une sorte de  boucle perpétuelle, qui à vocation à être en mouvement. La connaissance est de multiple sorte, issue de l’individu ou du collectif, universelle ou contextuelle, pratique ou théorique, ancrée ou fugace, tacite ou explicite. Nous passons d’un espace de savoirs selon les situations, les moments ou les besoins que nous rencontrons. La manière de mettre en œuvre ces savoirs influe sur notre capacité à décider, à exercer et mettre en pratique nos compétences. In fine la transmission des connaissances est un processus itératif qui s’appuie sur nos mises en réseau à travers des connexions entre les personnes et les savoirs. Ainsi, en plus d’acquérir des connaissances on en construit de nouvelles. 

« Quand on désire savoir, on interroge. Quand on veut être capable, on étudie. Revoyez sans arrêt ce que vous savez déjà. Étudiez sans cesse du nouveau. Alors vous deviendrez un Maître » Confucius

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