Écologie et jeunesse
Cher lecteur,
Chez Nuageo, nous sommes libres d’écrire un article avec le contenu que nous souhaitons. Historiquement et généralement, il prend la forme d’un journal et commence par “Cher Journal”. Mais pas cette fois. Un sujet s’est imposé à moi et je voulais le partager avec vous : la jeunesse et son rapport à l’écologie. Ce n’est pas un article de fond sur le sujet mais je souhaite partager deux événements et mon ressenti.
Le premier concerne 6 jeunes portugais qui ont porté plainte en 2020 devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour dénoncer l’inaction climatique de 32 pays européens (source: Avaaz). La décision devrait être rendue cet automne. Ce ne sont pas les premiers. Greta Thunberg, quoiqu’on pense de la jeune fille, a réussi à mobiliser des millions de gens avant eux. Mais j’admire le courage et la ténacité de partir d’une idée, de se coordonner pour aller jusqu’au bout.
Je pourrais aussi parler de James Amar, cet ancien étudiant en 3eme année à Centrale, qui a démissionné cet été en publiant une lettre reprise par plusieurs sites où il y dénonce la qualité de l’enseignement mais surtout le fait que les écoles d’ingénieurs sont une source de problèmes pour l’environnement et non la solution (là aussi, qu’on soit d’accord avec lui n’est pas le propos : il a eu assez de conviction pour arrêter des études qu’on peut considérer comme étant une voie royale).
Et puis il y a d’autres jeunes, beaucoup, qui restent à convaincre. Je m’en suis rendu compte tout dernièrement. Depuis la rentrée, plusieurs membres de l’équipe Nuageo donnent des cours de développement durable dans une école d’ingénieurs. Au moment où j’écris ces lignes, j’ai dispensé deux cours de cinq heures chacun à des jeunes qui sont en première année d’un bachelor et qui ont donc passé en majorité leur bac en 2023.
Cinq heures, c’est très long. Au programme, j’ai une partie sur la crise climatique et une seconde partie sur le numérique responsable. Etant donné la durée du cours, je commence par faire un moment brise glace en leur demandant leur nom, ce qu’ils attendent du cours et s’ils parlent écologie au sein de leur famille. Sans grande surprise, ils n’attendent rien de ce cours. Par contre, je suis beaucoup plus surpris de voir que personne ne parle écologie ou des problèmes écologiques dans le cercle familial. A l’heure où on parle d’éco-anxiété des jeunes, je me demande comment cela est possible. Je ne me suis pas préparé à ça. Outre les informations importantes à retenir, j’essaie de les bousculer avec certains faits et je tente de les faire réagir. Mais je sens que je ne réussis pas. Ce n’est pas un problème de groupe, il est sympa. Nous avons des interactions, il y a des phases de travail de groupe et de restitution mais comme me le dira un collègue, ce n’est pas incarné.
Je rentre chez moi vers 20:00 un peu dépité et j’en parle à table. Mes jumelles de 17 ans poussent un “QUOI ?” quand je leur dis qu’aucun étudiant ne parle écologie chez lui (ha que le biais de confirmation fait du bien). Et l’une d’elle me propose qu’au groupe du lendemain j’ajoute une question : “qu’avez vous peur de perdre avec la crise climatique ?” Je trouve la question excellente et je la retiens.
Le lendemain, j’ai un autre groupe, toujours pendant cinq heures. Avec moins de surprise, aucun étudiant ou étudiante ne parle écologie à la maison. Mais à la question sur la peur de perdre, j’ai des réponses intéressantes : l’une fait de la plongée et voit déjà les modifications. L’autre adore le ski et a peur qu’il n’y ait plus de neige. Un autre encore, plus bucolique, a peur de ne plus pouvoir se promener en forêt comme il le fait actuellement. Ce n’est pas une majorité écrasante mais la question inspire certains. Et il y en a plusieurs pour qui ce n’est pas un sujet car ils ne seront pas impactés (sic). Pour ce deuxième groupe,, j’ai aussi décidé de changer le contenu : je passe trois heures sur la crise climatique, quarante cinq minutes sur le numérique responsable et je leur projette une grosse moitié de l’épisode 1 la série Apple TV+ “Extrapolations” (pour ceux qui ne connaissent pas, la série montre des personnages qui évoluent entre 2037 et 2070 en présentant les problèmes liés au dérèglement climatique). Je veux savoir si la puissance du story telling et d’une série réaliste peut les faire réagir, sans oublier que c’est aussi un moyen qu’ils tiennent un vendredi soir de 18 à 19 heures.
C’est encourageant. Est ce que la différence est due au groupe ? Je ne le sais pas. A la fin, on débriefe. Je leur demande ce qui a bien marché et ce que je dois faire pour m’améliorer. Je n’oublie pas ceux qui m’ont dit qu’ils ne sentaient pas concernés et je leur demande si j’ai réussi à entrouvrir la porte. Deux d’entre eux me disent : “un tout petit peu”. Bien sûr, ils m’ont peut-être dit ça pour me faire plaisir mais j’étais sur place et je ne le crois pas. Et j’ai peut-être planté quelques graines chez certains.
Mon objectif n’est pas qu’ils aient 15 ou 18 au QCM. C’est qu’ils prennent conscience de la situation. C’est intéressant car très naïvement, je mettais les jeunes, surtout des futurs diplômés, dans la catégorie des gens sensibilisés aux problèmes de dérèglement climatique. Mais ce n’est pas le cas.
En tout cas, il y a un énorme écart entre des jeunes, comme ces jeunes portugais dont je parlais au début de l’article ou bien comme James Amar et les étudiants que j’ai eu en face de moi (sauf quelques exceptions). Comment leur faire prendre conscience de ce qui les attend si rien n’est fait ?
Philippe