Faisons bon usage de notre temps
Vendredi dernier, nous avions un certain nombre de décisions à prendre et une en particulier :
devions nous garder la version pro de Slack (à l’essai depuis plusieurs mois) ou repasser sur la version gratuite ?
La question n’est pas vraiment économique. Elle porte plutôt sur une analyse saine de nos besoins (en avons nous vraiment besoin) et sur le risque qu’il y ait une plus forte adhérence au logiciel qui le rendrait “incontournable”. Ceci est à remettre également dans le contexte que certains d’entre nous souhaitent se détourner des logiciels propriétaires. Je ne ferai pas de résumé des discussions ni de la décision car ce n’est pas l’objet de cet article.
A la fin de l’échange, Antoine a élargi la réflexion en l’intégrant dans les projets de permaentreprise. En effet, un des projets consiste à réévaluer les outils pour éventuellement en changer afin de favoriser les logiciels open source, libres ou considérés comme compatibles avec une démarche numérique responsable (je pense à la suite Infomaniak).
Mon cerveau a émis quelques alertes sur le sujet mais je me suis tû, préférant réfléchir sur ce qui me dérangeait.
Mener une réflexion amène à considérer plusieurs angles. Avec le contexte propre à Nuageo, voici les 3 angles que j’ai envisagés :
- impact dans le cadre d’une approche Numerique Responsable
- impact sur les tiers (clients, partenaires, fournisseurs…)
- impact interne, c’est à dire sur l’équipe
1/ Impact numérique responsable
Nuageo étant un acteur du monde du Numérique Responsable, étant même L’Atelier du Numérique Responsable (donc le seul 😉), c’est tout naturellement que j’ai regardé quel impact cela pouvait avoir.
En simplifiant, une approche numérique responsable prend en compte :
- l’impact sur l’environnement
- l’aspect social
- l’inclusion
Je passe rapidement sur l’aspect social étant donné qu’il s’agit d’outils à usage interne. Concernant l’inclusion, je pense plus particulièrement à l’accessibilité. Puisque nous parlons de Nuageo, le problème ne s’est jamais posé et s’il se posait, les logiciels libres ne sont pas de meilleurs élèves. Pour vous en convaincre, je vous conseille de regarder le site du gouvernement français qui recense les logiciels libres. Vous verrez que sur les 12 premiers logiciels (je n’ai pas pris le temps de regarder au-delà), seul Firefox est compatible avec les regles RGAA. De plus, nous aurions d’autres problèmes importants à régler comme les locaux qui ne sont pas accessibles à une personne handicapée.
Il reste donc l’impact environnemental. Fort heureusement, nous avons fait une étude ACV qui nous permet de comprendre nos impacts dans le détail. Un changement de logiciel aurait un impact sur l’utilisation de nos services numériques (je fais un mélange entre les logiciels et services numériques car nous travaillons majoritairement en remote donc nous avons besoin d’outils qui nous permettent de collaborer à distance). L’impact des services numériques est de 8% (pour information l’impact du numérique dans son ensemble est de 19%). Comme nous n’avons pas les moyens d’évaluer correctement l’impact d’un changement, nous ne pouvons que faire des hypothèses. En prenant comme hypothèse une baisse de 20%, ce qui serait énorme, l’impact au global serait une réduction à peu près de 1,6%, ce qui est peu.
2/ impact sur les tiers
Commençons par les fournisseurs et supposons que nous voulions communiquer auprès d’eux sur le fait que nous ayons changé de logiciel. Il est déjà difficile d’identifier le bon contact et cette opération prend du temps ; je peux en témoigner car dans le cadre de la labellisation Lucie, nous avons une action de ce type à faire. D’autre part, les éditeurs évincés ne nous diraient sûrement pas “good job, vous nous inspirer tellement que nous allons changer la license de nos logiciels !”.
L’autre grand poste de dépenses est le loyer et je sais que ca n’aurait aucun impact sur le propriétaire. Je ne dis pas que la sensibilisation n’a pas d’impact sinon je n’animerais pas de fresques du numérique. Mais si je suis partant pour sensibiliser sur les impacts du numérique dans leur ensemble, n’oublions l’hypothèse de départ qui se limite à parler de l’utilisation de logiciels libres. Le discours serait trop étroit pour que ça change leur comportement.
Concernant, les partenaires, c’est autre chose. Dans la catégorie “partenaires”, je range tous les acteurs qui œuvrent dans le numérique responsable. Pour un certain nombre d’entre eux, il est important d’utiliser des logiciels libres. La situation actuelle ne nous dessert pas apriori mais le capital sympathie augmenterait sûrement. De là à augmenter notre activité, je n’irais pas jusqu’à là.
Enfin concernant les clients, je pense raisonnablement qu’on peut les classer dans 3 catégories :
- “I don’t care”
- “je veux travailler avec vous”
- “encore des khmers verts”
Pour nos clients actuels, c’est un non problème. Cela ferait sûrement une histoire à raconter mais ça ne changerait pas l’activité de l’entreprise.
Concernant les prospects, je pense (et c’est la limite de l’exercice car il faudrait essayer pour être sûr) que la grande majorité n’a cure que nous utilisions des logiciels libres ou pas. Ce serait bien entendu très différent si nos prestations étaient de vendre des solutions à base de logiciels libres. Mais ce n’est pas le cas : nos clients sont sensibles à la qualité de nos prestations, nos références, le prix également et pas le fait qu’on utilise kChat d’Infomaniak ou Slack.
Les 2 autres catégories de clients, ceux qui en feraient un critère principal de choix ou a contrario qui ne voudraient pas travailler avec nous sont à la marge de la marge. Par exemple, nous n’avons jamais rencontré un appel d’offre où un critère principal était d’utiliser les logiciels libres en interne.
2/ impact sur l’équipe
Si la réflexion en vue de changer nos logiciels actuels (Slack, Google Workspace, VSA -logiciel de suivi d’activité- et Confluence) par une offre “libre” est lancée, elle serait menée en interne par une équipe de 2 ou 3 personnes. En fait, elle a déjà été initiée par un groupe mais le projet est standby à la suite du départ de son animateur. Mais de l’aveu des contributeurs, ceci est un gros travail car il faut :
- construire une grille de fonctionnalités dont nous avons besoin
- prioriser ces fonctionnalités
- évaluer chaque logiciel au regard de cette grille de fonctionnalités priorisées
- proposer un choix (une solution, un assemblage de solutions, …)
Ensuite si le choix est de migrer, il faut migrer les données. Et par expérience, la migration de données d’un système à un autre se fait rarement sans douleur. Il est extrêmement probable que l’apparence des présentations Google Slide soit différente, que les macros voir certains comportements de Confluence ne se retrouvent pas dans le logiciel wiki choisi. Ceci implique qu’il faille retoucher un certain nombre de documents avant leur utilisation, que ce soit un exemple précédent de proposition ou la feuille de calcul pour l’ACV…
Ou alors nous ne migrons pas les données.
C’est concevable pour Slack de perdre les données, ça ne l’est pas pour les documents créés par Google Workspace, par Confluence ou les données stockées dans VSA.
Enfin, il y a un risque de pertes de fonctionnalités. Mais aussi de gain, j’en conviens. Cela étant, si on prend juste Slack versus kChat, on perd des fonctionnalités. Certains d’entre nous pensent que c’est acceptable de perdre du confort. C’est entendable mais le numérique responsable implique de prendre soin des humains. Or les employés sont des êtres humains. Comment arbitrer ?
Conclusion
Il est possible que j’ai oublié des axes d’analyse. Mais sur ceux identifiés, on peut constater que :
- l’impact concernant le numérique responsable est faible à supposer que ce ne soit pas pire
- l’impact sur les partenaires est a priori faible, en tout cas inexistant sur les clients actuels
- l’impact sur l’équipe est important en perte de temps, en stress potentiel et peut etre en confort.
Vu le peu d’avantages attendus d’un tel changement et vu que notre budget temps est contraint, je pense que nous avons de meilleures opportunités pour consommer le temps que nous devrions consacrer à un tel projet.
Philippe